Le fonctionnaire en grève Roudy Vaillancourt a publié une lettre ouverte afin d'expliquer son point de vue sur le conflit de travail actuel.
Voici son texte:
Je suis Roudy,
La plupart d'entre vous, chers Canadiens, ne me connaissent pas. Je suis un fonctionnaire présentement en grève. Je ne suis pas un médecin qui sauve des vies, ni un pompier qui éteint des incendies, ni un enseignant qui éduque les enfants. Je ne suis pas non plus dentiste, plombier, constructeur, agriculteur, psychologue, éboueur, ambulancier, notaire, comptable, etc...
Je ne suis certainement pas une célébrité, même si j'aurais aimé être un artiste. Vous voyez ce que je veux dire.
Lorsque l'un de mes sept enfants doit présenter le métier de l'un de leurs parents à l'école, je ne suis jamais leur premier choix.
Ils préfèrent parler d'un oncle, d'une tante ou du père pompier de notre grande famille recomposée. Quand je me présente et que je dois dire ce que je fais dans la vie, j'aime dire que je travaille pour le gouvernement, ajoutant en plaisantant que si j'en dis plus, la vie de mon interlocuteur pourrait être en danger.
Cela arrive rarement, car vivant dans la région de la Capitale Nationale, beaucoup de mes amis se considèrent aussi comme des agents secrets (du moins dans leur imagination) de la fonction publique.
Parfois, j'ai du mal à être fier de mon travail. Je ressens constamment le besoin de justifier ce que je fais, ma qualité de vie
On m'a accusé d'être à la solde des conservateurs, puis des libéraux, d'être un nazi de droite ou un « wokiste » de gauche, de ne rien faire, d'être trop payé pour ce que je fais, d'être responsable d'un voyage raté ou même d'un divorce.
Certains membres de ma famille me trouvent chanceux, d'autres opportunistes et profiteurs. Souvent, l'amour et l'amitié côtoient la jalousie. Mais la jalousie de quoi, au juste ?
DU PRIVÉ AU PUBLIC
Depuis que j'ai décidé de quitter mon travail mieux rémunéré dans le secteur privé pour la fonction publique il y a 17 ans, je n'ai jamais eu de convention collective active à temps. J'ai commencé à un niveau d'entrée de la fonction publique, avec un salaire légèrement supérieur à 50 000 dollars par an, pensant que je serais plus heureux et en meilleure santé grâce à un horaire flexible et à la valorisation de mon travail au sein d'une grande organisation.
La réalité est que, malgré mon optimisme, il m'a fallu plus de 14 ans pour obtenir une véritable promotion permanente et me démarquer du salaire moyen de mes collègues, oscillant entre 40 000 et 65 000 dollars. J'ai subi des rétroactions forcées, d'innombrables problèmes avec le système de paie Phoenix, comme des trop-perçus, des arriérés ou même des périodes sans salaire pendant près de trois mois.
CERTAINS ASPECTS POSITIFS
En revanche, lorsque je considère les aspects positifs, j'ai été le superviseur de centaines d'employés, veillant toujours à leur bonheur. J'ai participé à la délivrance de milliers de passeports et aidé des centaines de personnes issues des Premières Nations à accéder à des soins de santé et des services. J'ai été un champion de trois campagnes caritatives, collectant des centaines de milliers de dollars pour diverses organisations. J'ai également été capitaine, aux côtés de mes collègues, lors de marches contre le cancer, peint en vert comme Hulk. Je ne pense pas être inutile...
Je me souviendrai toujours d'une dame en fauteuil roulant, résidant dans une maison de soins, qui devait quitter d'urgence la région pour l'ouest du Canada car son frère n'avait plus que quelques jours à vivre. Cette charmante femme avait malheureusement envoyé la nouvelle photo pour son passeport au mauvais endroit, retardant ainsi sa demande. Je ne sais toujours pas comment elle a obtenu mon numéro de bureau, mais lorsqu'elle m'a raconté son histoire, je me suis personnellement occupé de sa demande. Je dois avouer que j'ai probablement enfreint certaines règles en prenant un taxi pour lui apporter son passeport une heure avant son départ en avion. Elle m'a gratifié d'une étreinte incroyable et de nombreuses larmes sur mon épaule. Je n'oublierai jamais ce jour où j'ai accompli bien plus que ce que mes responsabilités exigeaient.
Je peux vous assurer que cela se produit chaque jour dans tous les ministères à travers le Canada. Pour chaque mauvaise expérience que vous avez pu vivre avec le gouvernement, des centaines d'autres Canadiens ne remarquent pas les efforts que nous déployons car la "machine" fonctionne. Bien sûr, comme dans chaque restaurant d'une chaîne populaire de cafés, certains matins vous avez envie de klaxonner pour dire aux employés à l'intérieur "Dépêchez-vous!", mais ces employés travaillent dur pour vous servir votre double-double. C'est pareil pour nous...
BEAUCOUP DE STÉRÉOTYPES
J'ai connu mon lot d'employés stéréotypés "fonctionnaires", je ne vous le cacherai pas, car je devais les motiver et travailler avec eux pour qu'ils soient performants. Toutefois, la grande majorité de mes amis et collègues travaillent dans l'ombre pour rendre heureux les citoyens d'est en ouest, du nord au sud, de toutes les nations et, en fait, de toutes les sphères de la population.
Si je peux motiver ou changer l'opinion d'une seule personne avec ce texte, j'aurai contribué à cette cause. Comme chacun d'entre vous, nous essayons de survivre dans ce monde quelque peu fou, marqué par la pandémie, l'inflation, la guerre, les pénuries et les conflits inutiles. S'il vous plaît, ne nous jugez pas, mais encouragez-nous à continuer. Nous méritons, comme vous tous, notre reconnaissance et la vôtre pour notre travail humble. Ensemble, nous sommes plus forts, plus heureux et tout simplement meilleurs.
Je suis Roudy, un fier fonctionnaire, toujours là pour vous.
Roudy Vaillancourt
